For Morton Feldman

For Morton Feldman

Technique mixte. Piano automatisé, laine brute, comédien, pianiste, écrans et texte original. Paris, 2017. 

Un homme part chercher conseil sur la tombe d’un compositeur mort. Sur l’injonction de son spectre, il part en Mésopotamie, et en importe un culte obscur et une pianiste muette. Il trouvera la folie et le réconfort par le sabotage d’un des fondements de notre société : le langage. Ce conte dystopique propose une torsion terroriste de la pensée musicale de Morton Feldman. Un texte d’épouvante s’insère dans les interstices de la magnifique pièce Palais de Mari (Morton Feldman, 1985), interprétée par la pianiste Barbara Dang.

Cette forme courte a été le point de départ d’un travail qui a abouti à la pièce Four For.


Extrait de « Palais de Mari », texte original.

Je suis allé sur le tombeau de Morton Feldman

pour demander conseil.

Et j’ai écouté.

Il a dit : Qu’est-ce que tu sais faire ?

J’ai dit : je sais parler.

Il a dit : alors tais-toi.

J’ai dit : ça va poser problème.

Il a dit : pour trouver la voie il faut te couper la langue.

Il a dit : va au Palais de Mari, en Mésopotamie.

En désespoir de cause,

peut-être par excès de morgue,

j’ai été littéral :

j’ai pris un billet pour la Mésopotamie.

C’était plus loin que je ne le pensais.

Il a fallu prendre vapeur,

remonter le canal de Suez

jusqu’à ce qu’il s’assèche.

Et seul sur le bateau

je me suis tu pendant des siècles et c’était bien.

Dans le Palais de Mari,

il n’y avait déjà plus grand-chose à voir,

et j’ai songé que j’aurais peut-être dû aller sur la tombe de John Cage.

La visite guidée s’est achevée.

Je ne savais pas où dormir,

alors je me suis caché dans une alcôve

et je me suis assoupi.

La nuit, j’ai entendu un piano.

J’ai marché dans les couloirs du palais

jusqu’à une pièce immense éclairée par des torches.

Au centre, il y avait une pianiste, qui jouait.

Un buste de Morton Feldman

posé sur son instrument,

avec des colliers de fleurs autour de son gros cou en marbre,

comme un buddha placide avec des lunettes à triple foyer.

Je ne m’étais jamais senti aussi bien.

Je l’ai écoutée jouer le même morceau en boucle

pendant des semaines,

jusqu’à en perdre la concordance des temps